Retrouvez ci-dessous le détail de l'article de presse écrit par Amélie Blaustein-Niddam et paru dans cult.news le 12/08/25 :
« De la musique klezmer mais pas que »
Après cette plongée dans l’histoire et l’intime, le festival poursuit son voyage musical. Une paire d’heures plus tard, dans la belle cour ourlée d’arcs de la Charité, nous découvrons le quatuor 100 % masculin de Pletzl Bandit : Gheorghe Ciumasu à l’accordéon, Charles Rappoport au violon, Henry Kisiel à la contrebasse et, ce soir, en remplacement de Samuel Maquin, Jonathan Orland à la clarinette. Le groupe vient de sortir un merveilleux album, au joli titre : Héritage.
Dans le sillage d’un violon qui pleure et d’une clarinette qui rit, Pletzl Bandit embarque le public dans un tourbillon klezmer où la Moldavie devient carrefour des mondes. Entre archives ressuscitées et improvisations fougueuses, le quatuor tricote un fil entre les shtetls d’Europe de l’Est et les scènes d’aujourd’hui. Ça tangue, ça valse, ça danse en rond : les airs balkaniques, juifs, arméniens et moldaves se mêlent, s’embrasent, se taquinent, comme si chaque note avait traversé la mer avec une histoire d’exil triste à transformer en blague juive dans sa poche.
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Faire taire les larmes
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Dans une générosité sans faille, le groupe délivre dix-sept morceaux, à la fois compositions originales et tubes de la culture klezmer. On y sent les migrations, les échanges, les dialogues improvisés « comme du jazz », sans partition. Les morceaux alternent lamentations et fêtes : une doïna moldave lente et mélancolique où chaque instrument prend tour à tour le lead ; une danse arménienne (Dona Genbar), des souvenirs ukrainiens vifs, une valse en hommage aux camarades tombés en 1904, un air turc qui se transforme en ronde bulgare. Les hommages se multiplient : à Dave Tarras, icône du klezmer aux États-Unis ; à Emile Kroitor, dont les notes susurrent « je suis à toi » en yiddish ou nous enivrent dans son Levontin’s Wind.
Chaque pièce est une escale dans ce voyage où Charles Rappoport, le violoniste, est le boss. Il raconte comment il a joué devant la maison de son grand-père (entendez : un doigt levé aux nazis), avec toute sa famille pour interpréter ses compositions. De lui, on découvre, médusé par le talent, l’écriture fine et précise de Boulevard Primorsky kolomeyke. Les notes s’envolent dans des croches qui courent sur des partitions disparues. Il y a cela de magique dans le klezmer : associer la nostalgie à la joie, arriver à mettre du bonheur et, plus encore, donner une raison d’être à l’exil.
Entre les quatre musiciens, souvent, les rythmes s’accélèrent : le saxophone prend la parole, puis cède la place à la clarinette, au violon, à l’accordéon, et inversement. Les influences se croisent et se répondent comme les voix d’un peuple dispersé mais relié par la musique. Jusqu’au rappel, qui emporte le public dans un dernier élan.
Du Comtat au klezmer, on comprend comment l’antisémitisme a été, et est encore, un moteur culturel. De l’assimilation tachée par les insultes d’Armand Lunel jusqu’à cette musique redevenue vivante pour faire taire la haine, le festival tisse un lien subtil entre passé et présent.
